Apocalypse Now : histoire d'un tournage cauchemardesque
« Nous étions dans
la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de
matériel. Petit à petit, nous sommes devenus fous ».
Autant
que le film lui-même, le tournage de l’œuvre-clé de Francis Ford Coppola mérite
bien des superlatifs. Récit d’une odyssée cauchemardesque au cours de laquelle
le cinéaste fut absorbé par son propre film.
Auréolé des consécrations
successives des Parrain I et II, Francis Ford Coppola dévoile son
nouveau projet, la transposition du Roman de Joseph Conrad Au Cœur des
Ténèbres dans la jungle vietnamienne. Coppola l’a proposé maintes fois à
son poulain George Lucas, mais celui-ci, trop absorbé par l’élaboration
de son film de science-fiction qu’il a intitulé Star Wars, a fini par le
délaisser.
Mars 1976
Le tournage d’Apocalypse
Now débute aux Philippines. Harvey Keitel interprète le rôle du
capitaine Willard, personnage principal du film. Marlon Brando,
finalement convaincu par Coppola, endossera celui du colonel Kurtz. Le tournage
doit durer quatorze semaines.
Avril 1976
Les conditions climatiques
retardent les prises de vues. Le rythme de travail de l’équipe s’en ressent.
Coppola, dont le comportement devient de plus en plus tyrannique, s’abîme dans
de luxueuses fêtes et évince du tournage quiconque le contrarie, à commencer
par Harvey Keitel, remplacé par Martin Sheen.
Mai 1976
Le moral de l’équipe se
dégrade à cause de Coppola qui, en plus de sa consommation exponentielle de
stupéfiants, a cessé de verser les salaires. D’autre part, techniciens et
acteurs frayent avec les maladies tropicales – et vénériennes - qui ont envahi
le tournage.
Un typhon frappe l’île qui
sert de site au tournage. Les plateaux sont envahis par la boue, le campement
de l’équipe est submergé par les eaux. Dépourvu d’électricité et d’eau potable,
le production interrompt le film.
Juin 1976
En plein dépassement de
budget, Coppola retourne à San Francisco et contracte un emprunt de trois
millions de dollars. Sur les quatre-vingt-dix heures de rushes tournées, huit
minutes à peine sont utilisables.
Retour de Coppola aux
Philippines. Les défections sont nombreuses et Martin Sheen, craignant d’y
laisser sa santé, hésite à poursuivre le tournage.
Arrivée aux Philippines de Dennis
Hopper, sous l’emprise permanente de l’alcool et des psychotropes. Pour
« entrer dans la peau de son personnage », il cesse de se laver et
s’attire l’hostilité de l’équipe.
Octobre 1976
La construction du repaire de Kurtz s’achève. Coppola le fait garnir de cadavres qu’il se procure auprès du représentant d’un laboratoire médical, qui s’avèrera être un profanateur de sépultures.
Novembre 1976
Marlon Brando débarque sur le
tournage avec quatre mois de retard. Il n’a pas lu le livre de Conrad, ne
connaît pas son texte et son obésité ne correspond pas au personnage. Coppola
s’enferme avec l’acteur dans la péniche que celui-ci a exigée comme loge et
passe des heures à le faire répéter et à lui lire le roman à voix haute.
Martin Sheen est victime
d’une crise cardiaque et ne reprendra le tournage qu’à la mi-avril. Epouvanté à
l’idée de ce qu’il adviendrait si l’acteur ne s’en relevait pas, Coppola sombre
dans la paranoïa, jusqu’à l’épilepsie.
Mai 1977
Le tournage est bouclé.
Coppola, qui a perdu cinquante kilos, ramène dans ses valises deux cent
cinquante heures de rushes et un dépassement de budget de dix-sept millions de
dollars. Devant son état de santé, le studio United Artists souscrit une police
d’assurances lui assurant quinze millions de dollars en cas de décès du
réalisateur.
Décembre 1977
Toujours en cours de montage,
le film donne lieu à d’innombrables versions, avec toutes une fin différente.
Coppola passe ses nuits cloîtré dans sa salle de projection en compagnie des
drogues et de la musique des Doors.
Mai 1979
Apocalypse Now est projeté à Cannes dans une copie de travail non
définitive. Lors de la conférence de presse, Coppola s’en prend violemment aux
journalistes américains, qu’il tient responsable de la mauvaise réputation du
film. Il remporte la Palme d’or ex-aequo avec Le Tambour, de Volker
Schlondorff.
Septembre 1979
Sortie d’Apocalypse Now en
France. Le succès de sa carrière internationale est un soulagement. Coppola,
qui avait investi sa fortune personnelle, engrange de substantiels bénéfices. Il
entre dans la légende mais, aux yeux d’Hollywood, il est désormais – et pour
toujours – un produit incontrôlable…
Mai 2001
Cannes accueille une nouvelle
version du film, augmentée et restaurée par Coppola lui-même. Baptisée Apocalypse
Now Redux, cette dernière comporte 43 minutes de séquences inédites, dont
celle dite de « La plantation française » dans laquelle joue
l’actrice Aurore Clément et qui réintroduit celle-ci au générique du
film.